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e la littérature aux essais jusqu’aux études d’opinions, les fractures de nos sociétés sont auscultées sous tous les angles : entre les femmes et les hommes, les ruraux et les urbains, les riches et les pauvres…
On voit même apparaître régulièrement des débats autour de supposés conflits générationnels et d’une fracture séparant les jeunes des plus âgés notamment sur les grandes questions qui structurent notre avenir commun comme l’environnement ou le réchauffement climatique. Les jeunes auraient plus conscience de l’urgence climatique que la génération des baby-boomers qui, arrivant à l’orée de leur vie, n’agiraient pas assez pour léguer à leurs petits-enfants une planète saine et des perspectives de vie durables.
On se rappelle tous l’expression « Ok Boomer » apparue récemment dans le débat public et désormais consacrée dans le langage commun des moins de 35 ans. Un cri censé symboliser la déconnexion des plus âgés par rapport aux questions environnementales. Pis : une expression censée traduire la colère des plus jeunes contre une génération qui aurait supposément profité de la croissance en se souciant bien peu d’avoir saccagé la planète. Ces mots sont ceux prononcés par une députée australienne en séance au parlement en réponse à des climato-sceptiques. Mais on peut citer aussi l’intervention de la jeune Greta Thunberg à la tribune des Nations Unies en 2019 qui déclara : « Si vous décidez de nous laisser tomber, je vous le dis : nous ne vous pardonnerons jamais », en direction d’un parterre d’hommes et de femmes de pouvoir tous d’un certain âge…
Le réchauffement climatique et les catastrophes affectent davantage les personnes âgées
L’édition 2022 de « Fractures Françaises1 », une enquête reconnue en France, démontre cependant que quel que soit l’âge, l’environnement est la deuxième priorité affichée par les personnes interrogées. Et même si les sensibilités peuvent être différentes d’une génération à l’autre, par exemple sur l’adhésion au consensus du GIEC2 (l’écart dans cette enquête est de 27 points entre les 18-24 ans et les plus de 70 ans), on aurait tort d’opposer les générations sur la question climatique.
La première des raisons tient à ce que les personnes âgées, comme l’ensemble des personnes vulnérables, sont les premières victimes des catastrophes climatiques. Selon la représentante spéciale du secrétaire général des Nations Unies pour la réduction des risques de catastrophe, Mme Mizutori, 75 % des personnes décédées durant l’ouragan Katrina à la Nouvelle Orléans en 2005 étaient âgées de plus de 60 ans. Pourtant, ce groupe ne représentait que 16 % de la population totale. D’autres catastrophes et épisodes climatiques exceptionnels ont particulièrement touché les plus âgés, comme la canicule de 2003 en France, causant la mort de plus de 20 000 personnes, ou plus récemment la crise sanitaire liée à la Covid.
Les études scientifiques corroborent le fait que les personnes âgées seraient davantage touchées par les conséquences du réchauffement climatique. En 2019, la revue scientifique The Lancet a publié une étude3, qui fut très commentée lors de la COP 24 en Pologne, montrant que les vagues de chaleur touchent bien plus les personnes âgées, notamment ceux bénéficiant de traitements médicamenteux spécifiques. Les auteurs soulignent qu’en 2017, « plus de 157 millions de personnes vulnérables âgées de plus de 65 ans ont été exposées dans le monde à des vagues de chaleur, soit 18 millions de plus qu’en 2016 ». Ils ajoutent : « Conséquence de la hausse des températures provoquée par le changement climatique, les populations vulnérables sont exposées à des coups de chaleur, ce qui augmente leur risque de développer des maladies cardiovasculaires et rénales. ».
Viser l’entraide entre les générations
D’autres travaux démontrent plutôt la nécessité de penser la complémentarité des approches des différentes générations vis-à-vis des enjeux climatiques. Une étude publiée par l’ADEME en janvier 2022 montre que les personnes de plus de 65 ans semblent plus actives dans les gestes du quotidien que les jeunes, pourtant plus alarmistes et exigeants envers les mesures à prendre face à l’urgence climatique.
Ces pratiques proviennent aussi des habitudes « anti-gaspi » probablement ancrées dans les comportements des générations antérieures mais restreintes à certains domaines (économie d’énergie dans le logement, achat de produits locaux ou de saison…). La volonté d’éviter le gaspillage est ainsi la principale raison incitant les Français de plus de 65 ans à réduire leur consommation d’énergie (33 % contre 17 % pour les moins de 35 ans). Des caractéristiques qui revêtent une importance particulière à mesure que la sobriété devient aujourd’hui un enjeu sociétal et économique majeur. A contrario, les moins de 35 ans s’avèrent moins informés des gestes quotidiens : 67 % d’entre eux s’étonnent d’apprendre la nocivité du chauffage au bois du fait de la pollution aux particules fines, et 48 % n’ont pu citer au moins une énergie renouvelable.
Des seniors moins sensibilisés à l’urgence climatique mais plus aguerris aux « éco gestes » et enclin à transmettre leurs savoirs aux plus jeunes : tel est le paradoxe qu’illustre une autre étude de l’ADEME en partenariat avec WeDemain et Notre Temps selon laquelle pour 85 % des seniors, la transmission des savoirs et des gestes relatifs à l’environnement passe par des activités partagées avec les petits-enfants : se balader à pied dans la nature (80 %), cuisiner des produits locaux de saison (76 %), jardiner (70 %) ou bricoler et réparer (55 %).
Bref : de quoi tordre le cou à l’idée selon laquelle les plus « mûrs » ne seraient pas forcément les plus « verts » !
1. Un baromètre de l’opinion réalisé par Ipsos, Sopra-Steria, Le Monde, Le Cevipof et la Fondation Jean Jaurès.
2. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a été créé en 1988 en vue de fournir des évaluations détaillées de l’état des connaissances scientifiques, techniques et socio-économiques sur les changements climatiques, leurs causes, leurs répercussions potentielles et les stratégies de parade.
3. The 2018 report of the Lancet Countdown on health and climate change : shaping the health of nations for centuries to come, Nick Watts, MA, Markus Amann, PhD, Prof Nigel Arnell, PhD, Sonja Ayeb-Karlsson, PhD, Kristine Belesova, PhD, Prof Helen Berry, PhD et al.
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